
Par Thomas Fazi, le 15 novembre
L'UE adore parler de liberté. Il suffit de lire l'un de ses derniers communiqués de presse pour s'en rendre compte. Celui-ci annonce le lancement d'un projet baptisé
"Bouclier européen pour la démocratie", promettant de tout préserver, des "libertés individuelles" aux "élections démocratiques" en passant par - puisque Bruxelles est en jeu - "une société civile dynamique".
Tout cela semble admirable, du moins sur le papier. En réalité, le "Bouclier pour la démocratie" n'est qu'une vision parmi d'autres de la négation de la liberté : réprimer la dissidence et contrôler la liberté d'expression sous couvert de défendre la démocratie contre les ingérences étrangères et les "fake news".
Concrètement, la Commission propose la création d'un centre de surveillance chargé d'identifier et de supprimer les "faux contenus" et la "désinformation" sur internet. Selon Henna Virkkunen, vice-présidente exécutive chargée de la sécurité et de la démocratie, le "Bouclier" permettra à l'Europe de
"réagir plus rapidement et plus efficacement à la manipulation de l'information et aux menaces hybrides".
La haute représentante de l'UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Kaja Kallas, n'a pas caché la nature anti-russe de l'initiative :
"Nous assistons à des manœuvres, notamment en provenance de Russie, spécialement conçues pour diviser nos citoyens, miner la confiance dans nos institutions et polluer la vie politique dans nos pays".
Le terme "indépendant" apparaît plusieurs fois dans le communiqué de presse. Un nouveau "réseau européen indépendant de vérificateurs de faits" sera mis en place dans toutes les langues officielles de l'UE. Parallèlement, l'Observatoire européen des médias numériques (EDMO), le réseau phare de "vérification des faits" de l'UE, financé à hauteur de près de 30 millions d'euros, se verra attribuer de nouveaux pouvoirs analytiques "indépendants" pour surveiller les élections et les situations de crise. Cependant, rappelons que l'indépendance à Bruxelles rime avec dépendance financière auprès de la Commission. Pour garantir cette "indépendance", la Commission promet en effet un financement généreux aux ONG et aux médias "indépendants".
Le "Bouclier de la démocratie" s'appuie sur la récente loi sur les services numériques (DSA), la réglementation internet la plus radicale jamais mise en œuvre en Europe. En théorie, ces initiatives sont censées protéger la démocratie. Dans la pratique, elles font tout l'inverse. Leur objectif n'est pas de "lutter contre la désinformation", comme elles le prétendent, mais de contrôler le discours à un stade où les élites politiques européennes sont confrontées à un niveau de méfiance sans précédent dans l'opinion publique. Pour ce faire, elles centralisent le contrôle du flux d'informations et imposent une "vérité" unique définie par Bruxelles. En bref, la Commission européenne est en train de mettre en place un dispositif de censure à l'échelle du continent.
Comme l'a récemment déclaré un diplomate de l'UE dans un style véritablement orwellien :
"La liberté d'expression reste acquise à tous. Mais il faut aussi que les citoyens soient à l'abri de toute ingérence".
Mais qui décide des critères de ce qui constitue une "ingérence" ? Qui distingue le "vrai" du "faux" ? Les mêmes institutions et médias d'entreprise qui ont eux-mêmes propagé à plusieurs reprises la peur et la désinformation. Il y a quelques semaines à peine, Ursula von der Leyen a affirmé que le système GPS de son avion aurait été brouillé par la Russie, une allégation rapidement démentie par les analystes. De son côté, la BBC, souvent considérée comme un modèle d'intégrité journalistique, a récemment été prise en flagrant délit de trucage d'une vidéo d'un discours de Donald Trump afin de le montrer sous un jour plus extrême.
L'UE prétend protéger les citoyens contre les "mensonges", mais sur quelle base démocratique ou morale la Commission s'arroge-t-elle le droit de décider de ce qui est vrai, alors qu'il est clair que l'establishment politico-médiatique de l'UE lui-même se livre régulièrement à la désinformation et à la propagande ? De plus, quand les soi-disant vérificateurs de faits indépendants sont sélectionnés et financés par la Commission elle-même, c'est l'assurance pour l'UE de bénéficier de la validation de ses propres discours par des institutions qu'elle finance. Le "Bouclier de la démocratie", comme ses prédécesseurs, consacre ainsi le pouvoir de définir la réalité elle-même.
J'ai déjà montré dans une série d'articles que l'Union européenne dispose d'une vaste machine de propagande et de censure qui touche tous les niveaux de la société civile : ONG, think tanks, médias et même milieu universitaire. La pierre angulaire de ce système est un réseau de programmes financés par l'UE, notamment le programme "Citoyens, égalité, droits et valeurs" (CERV), "Europe créative" et l'initiative "Jean Monnet", qui injectent collectivement des milliards d'euros dans des organisations qui, en théorie, sont "indépendantes", mais en fait étroitement liées à la machine bruxelloise.
Dans le cadre du programme CERV, par exemple, qui dispose d'un budget de près de 2 milliards d'euros pour la période 2021-2027, plus de 3 000 ONG ont reçu des fonds pour mener à bien plus de 1 000 projets. Officiellement, ces fonds servent à promouvoir les "valeurs européennes". Dans la pratique, ils financent des actions "progressistes" et favorables à l'UE : idéologie du genre, multiculturalisme, antinationalisme et "lutte contre l'euroscepticisme". De nombreux projets sont explicitement conçus pour "restaurer la confiance dans l'UE" ou "contrer les discours anti-UE". Parallèlement, les ONG d'Europe centrale et orientale sont généreusement financées pour "combattre les discours autocratiques" et "contester l'euroscepticisme", ciblant souvent directement les gouvernements polonais (sous l'exécutif précédent) ou hongrois. Ces stratégies d'influence extérieure rappellent les pratiques historiquement associées à des agences telles que l'USAID.
Il en résulte une pseudo-société civile, un réseau d'acteurs prétendument "locaux" agissant comme des mandataires de la Commission, amplifiant son programme et créant l'illusion d'un soutien populaire à ses politiques.
Le même procédé s'applique aux médias. Mes investigations révèlent que l'UE verse chaque année au moins 80 millions d'euros directement aux organes de presse, aux diffuseurs, aux agences de presse et aux "partenariats journalistiques", soit près d'un milliard d'euros au cours de la dernière décennie. Des programmes tels que l'IMREG (Mesures d'information pour la politique de cohésion) ont financé des médias pour qu'ils publient des articles vantant les mérites des fonds de cohésion de l'UE, sans divulguer dans certains cas que le contenu est financé par l'UE. La Commission qualifie cette pratique de "sensibilisation". Dans tout autre contexte, on parlerait de publicité déguisée ou de propagande.
La machine de propagande de l'UE s'étend également au monde universitaire. Dans le cadre du programme Jean Monnet, la Commission européenne alloue environ 25 millions d'euros par an à des universités et instituts de recherche du monde entier pour financer plus de 1 500 chaires Jean Monnet dans 700 établissements. L'objectif n'est pas de soutenir la recherche indépendante, mais d'ancrer l'idéologie pro-UE dans l'enseignement supérieur. Les documents officiels indiquent explicitement que les bénéficiaires sont censés agir en tant qu'"ambassadeurs de l'Union européenne" et "agents de sensibilisation", en collaboration avec les médias et les ONG. Le monde universitaire n'est plus qu'un outil idéologique.
Avec le "Bouclier pour la démocratie", la Commission entend désormais étendre considérablement ce dispositif. Elle propose non seulement de créer ce qui équivaut à un ministère de la Vérité, mais aussi d'injecter toujours plus d'argent dans les ONG, les médias "indépendants" et les réseaux de vérification des faits chargés de promouvoir les "valeurs européennes". Von der Leyen achète en fait le consensus - et utilise de l'argent public pour le faire -, brouillant ainsi les frontières entre le super-État européen, les médias, la société civile et le monde universitaire.
"En dotant la Commission de son propre service de renseignement, l'Europe franchira une nouvelle étape majeure dans sa transition vers une puissance technocratique".
Même si l'objectif de l'UE se limitait à manipuler l'opinion publique, cela serait déjà en soi extrêmement préoccupant. Mais la tendance actuelle semble indiquer une ingérence directe dans les processus électoraux. Nous avons déjà assisté à ce genre de manipulation en Roumanie et en Moldavie, où les élites locales, avec le soutien avoué ou occulte de Bruxelles, ont invoqué le spectre de "l'ingérence russe" (sans en fournir la moindre preuve) pour justifier une manipulation flagrante des élections nationales. En Roumanie, les autorités ont annulé une élection et interdit au principal candidat populiste de se représenter. En Moldavie, les autorités pro-UE ont invoqué des "raisons de sécurité" pour empêcher les expatriés pro-russes de voter. Sous couvert de protéger la démocratie, on la sacrifie sans vergogne, alors que le "Bouclier pour la démocratie" prévoit explicitement de renforcer le Réseau européen de coopération électorale et, plus inquiétant encore, de promouvoir "des échanges systématiques sur l'intégrité des processus électoraux".
La soif de contrôle de la Commission ne se limite pas à l'information et aux élections. Ursula von der Leyen a récemment annoncé la création d'une nouvelle unité du renseignement placée sous l'autorité directe de la Commission européenne. Selon le Financial Times, l'objectif est de fédérer les données des services de renseignement des États membres afin de "renforcer la capacité de l'UE à détecter les menaces et à y répondre". Le plan prévoit la création, à terme, d'un service européen de coopération en matière de renseignement, une agence supranationale censée fonctionner parallèlement aux services du renseignement nationaux. Officiellement, il s'agirait de renforcer "l'autonomie stratégique". Dans la pratique, il fonctionnerait probablement comme une filiale de l'OTAN, et par extension de la CIA, d'autant que l'initiative appelle explicitement à "renforcer la coopération entre l'UE et l'OTAN".
Un tel projet témoigne de la tendance plus générale et particulièrement inquiétante à la centralisation du pouvoir entre les mains de la Commission - et de von der Leyen en personne. Cette perspective inquiète à juste titre de nombreux observateurs, car elle pourrait doter "l'impératrice Ursula" d'une armée d'espions supranationaux opérant hors du contrôle des parlements nationaux. Doter une institution non élue et particulièrement opaque comme la Commission de sa propre agence de renseignement marquerait une nouvelle étape de la transformation de l'Europe en une structure technocratique autoritaire axée sur la surveillance non pas de ses ennemis étrangers, mais de ses propres citoyens.
Dans ce contexte, le "Bouclier pour la démocratie" n'est rien d'autre qu'un outil destiné à institutionnaliser davantage un régime de contrôle de l'expression et du discours. Son objectif est de contrôler le discours en ligne selon des définitions vagues de la "désinformation", de contraindre plateformes, journalistes, universitaires et citoyens à se conformer à une vision du monde restrictive approuvée par la Commission, et de faire taire la dissidence au nom de la "lutte contre l'ingérence étrangère". Pourtant, force est de constater que la véritable guerre contre la démocratie n'est pas menée par Moscou ou Pékin, mais de l'intérieur, par les institutions mêmes qui prétendent la défendre.
Traduit par Spirit of Free Speech